- Afrikaner & Unternehmer: Interview mit François-Xavier Verschave "La françafrique"

Friday, June 02, 2006

Interview mit François-Xavier Verschave "La françafrique"




Le 15 juillet dernier, un procès en appel s’achevait sur un dénouement heureux à la 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Il avait été intenté en mars 2001 contre François-Xavier Verschave, président de l’association Survie, – et son éditeur Laurent Beccaria – pour son ouvrage Noir Silence, par les présidents du Tchad, du Gabon et du Congo-Brazzaville : Idriss Déby, Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso. Ils ont saisi la justice française au titre de l’article 36 de la loi de 1881 sur la presse, concernant l’offense à chef d’Etat étranger. Contrairement à la diffamation, ce délit conduit à une condamnation automatique, sans obligation de preuve. Mais cette disposition archaïque du code pénal, héritière du crime de « lèse-majesté », ainsi que la jurisprudence des tribunaux – qui avait cessé depuis les années soixante-dix sur ce point – et les talents oratoires de Jacques Vergès, défenseur des dictateurs offensés, n’ont pas suffi.
Face à la masse de témoignages et de documents accablants apportés par l’auteur de Noir Silence, le tribunal a préféré donner un ascendant à la Convention européenne des droits de l’Homme, en considérant que la disposition de la loi de 1881 invoquée par les plaignants n’était en quelque sorte plus applicable dans un régime démocratique. Le procès s’est alors progressivement transformé en un réquisitoire contre la Françafrique, ses pratiques criminelles et sa dimension financière, en lien avec les récentes mises en examen dans l’affaire Elf et le trafic d’armes vers l’Angola. Le prétoire devint le lieu d’un débat que l’Assemblée nationale n’avait pas souhaité accueillir. Les ombres de nos élites politiques les plus cyniques sont apparues dans cette arène.

Pourquoi et comment s'est mise en place la confiscation des indépendances africaines ?

Cette négation de l'indépendance africaine, inavouable, ne pouvait se faire qu'avec des moyens secrets. Ils ont été mis en œuvre par Jacques Foccart, le principal collaborateur du général de Gaulle. Il y avait 4 raisons pour confisquer cette indépendance: le rang de la France aux Nations unies qui nécessitait un cortège d'états clients, l'accès aux matières premières, le financement occulte des activités politiques du gaullisme, enfin la France jouait un rôle de sous-traitant des USA dans la guerre froide. Toutes ces raisons ont poussé de Gaulle à installer des chefs d'états amis de la France, soit par la fraude électorale, soit par l'assassinat, comme au Togo ou en Centrafrique.On a sélectionné des "proconsuls à la peau noire" pour continuer la présence coloniale tout en faisant croire aux africains qu'ils avaient acquis l'indépendance. On a mis en place des moyens de contrôle de la monnaie, de la police, des richesses… des mécanismes qu'on a appelé "les réseaux"… c'est difficile de les décrire en quelques mots car il y a une imbrication constante entre les services secrets et les pétroliers par exemple, des passages d'argent incessants dont on commence à avoir une petite idée à travers l'affaire Elf.

Foccart fut un des piliers de cette république de l'ombre…

C'est un personnage très curieux dont Pierre Péan a fait la biographie. Il a joué un rôle complexe dès 39-45, à la fois résistant, semble t-il, et à la tête d'une entreprise qui collaborait avec les allemands… A la libération de Gaulle a été écarté du pouvoir assez rapidement, un certain nombre de personnes l'ont accompagné dans sa "traversée du désert" dont Foccart. Il était chargé des relations avec l'outre-mer et avec leurs classes politiques, du lien avec les services secrets, et du ménage dans le parti gaulliste qui allait resurgir en 1958.

Pasqua, un émule de Foccart, fait déjà parler de lui chez Pernod-Ricard, quel est son rôle ?

C'est assez complexe… La stratégie de la guerre froide s'est appuyée sur des réseaux d'initiés liés par le secret dont le fonctionnement exact n'est pas toujours facile à établir. Par exemple Pasqua a bâti toute sa carrière politique sur une sorte d'anti-américanisme, or ses amis et lui-même sont très proches des républicains de George Bush. C'est typiquement un homme de l'ombre, faisant partie des services de sécurité du gaullisme.Dans "la Françafrique" publiée en 98, j'explique que Pasqua a été à l'origine de la French Connection, cette distribution de drogue aux USA servait entre autre à financer les actions des services secrets français… Pasqua m'a fait un procès en diffamation pour ce livre sur un seul point qui concernait le troc entre le terroriste Carlos et un soutien français au régime soudanais… Il n'a pas osé faire un procès en diffamation sur cette question de la French Connection !

Dans "la Françafrique", vous évoquiez aussi le cas d'une certaine Jacqueline Hémard qui avait reçu l'asile politique aux USA…

C'est l'épouse d'un héritier du groupe Pernod-Ricard, il y a aussi son ami Ali Bourequat, un ancien prisonnier politique au Maroc, qui avait entendu l'histoire de la french connection de la part de ses codétenus au bagne de Tazmamart. ( on soupçonnait l'entreprise, dont le directeur de l'époque s'appelait Charles Pasqua, de trafic de drogue en se servant du Maroc des 60's comme plaque tournante, avec la complicité d'Hassan II ). Ces deux personnes ont été obligées de s'enfuir aux USA ( en 1995 ) où elles ont obtenu l'asile politique ce qui est rarissime.

DE LA FRANCAFRIQUE A LA MAFIAFRIQUE.

On sait que Pasqua et Foccart se sont brouillés. Ces luttes d'influences, le fait qu'ils se balancent entre eux, ça vous a aidé dans votre travail ?

Tout à fait… La Françafrique a été instaurée, en 1958-1960, au nom de la raison d'état et on a mis en place un système avec des méthodes de voyous. Quand vous pratiquez sur des décennies ce type de méthodes, rares sont ceux qui ne deviennent pas eux-mêmes des voyous. Par exemple, quelqu'un de très proche des services secrets comme Alfred Sirven, qui contrôle deux ou trois milliards en Suisse, comment voulez vous qu'il ne résiste pas a certaines tentations, et qu'il ne puisse pas se vanter finalement de se payer l'ensemble de la classe politique.Ces méthodes ont peu à peu dégénéré en méthodes quasi mafieuses, et dans ce type de fonctionnement il y a des luttes de clans, on a beau servir théoriquement un même objectif, il y a tellement de bénéfices dans ce genre d'opérations que les gens se dressent les uns contre les autres et qu'il y a des fissions qui s'opèrent. C'est une première raison dans les clivages qui se sont opérés dans les réseaux.La deuxième raison, je l'ai compris plus tard, c'est que ces fonctionnements sont aussi des sous-ensembles du rôle global du lobby militaro-industriel en France. Ce lobby a connu une fracture énorme au début des 90's au moment ou Jaffré a dénoncé son prédécesseur chez Elf, Loïk Le Floch-Prigent, et où il y a eu également l'intervention du PDG de Thomson Alain Gomez dans cette partie compliquée. Pendant cinq ou six ans, au sein de ce lobby militaro-industriel qui se battait pour la recomposition de l'hégémonie sur l'aéronautique française, on a eu des tirs croisés d'informations qui arrivaient chez les juges d'instruction. Ca nous a beaucoup aidé à comprendre ces mécanismes.

Ce lobby militaro-industriel est-il un contre pouvoir au sein de la république ou une de ses excroissances ?

Notre conviction en tant que démocrate, c'est que la République au sens étymologique c'est la chose publique. Or ses réseaux ont effectivement conquis la République et donc sur des domaines extrêmement important comme l'Afrique, les politiques énergétiques, la manipulation de l'appareil judiciaire, la désinformation dans la presse, on assiste à un fonctionnement totalement hostile à la démocratie, à la captation par des réseaux d'initiés du fonctionnement de notre pays.

Comment ces réseaux se sont adaptés à la mondialisation ?

A partir de là, je voudrais dire deux choses qui concernent les paradis fiscaux. On assiste à une mondialisation des réseaux, ce que j'appelle pour l'Afrique, le passage de la "Françafrique" à la "Mafiafrique" qui est caractéristique de ce qui s'est passé en Angola avec "l'Angola Gate", objet d'un autre livre: "L'envers de la dette" paru l'an dernier.En Angola, on voit des personnages liés à des services secrets comme l'ancien KGB, la CIA, le MOSSAD, les services secrets français, britanniques, Sud-africains… on voit les réseaux mis en place dans l'entourage des ces différentes puissances se rejoindre autour d'enjeux aussi juteux que le pétrole angolais.

Et là c'est proprement hallucinant, des gens comme Falcone ou Gaydamak ( marchand d'armes russe ) qui sont des sortes de représentants multicartes de plusieurs services en même temps qui passent des deals planétaires avec les compagnies pétrolières les marchands d'armes…Tout ça se fait sur fond d'une nouveauté tout à fait inquiétante: la mondialisation de la criminalité financière à travers les paradis fiscaux. Il y a toujours eu des lieux d'opérations parallèles, mais avec l'essor de la télématique et de l'informatique, aujourd'hui plus de la moitié des flux financiers passent par les paradis fiscaux. C'est là que se passent toutes les actions qui contribuent à piller la planète ou à la détruire: les principales agressions contre l'environnement, le soutien aux dictatures, aux aventures mercenaires, le détournement de l'argent du pétrole… Tout ça passe par les paradis fiscaux avec la complicité des principales banques.

RESPONSABILITE POLITIQUE & DESINFORMATION

Est ce que le gouvernement Jospin a rompu avec ces pratiques ?

Non, certainement pas ! Ca fait partie de la désinformation récente… Avec "l'Angolo-Haïtien" et l'inculpation de Jean Christophe Mitterrand, tout d'un coup des tas de journalistes se sont rendus compte que tout ce que nous disions sur la Françafrique était vrai, et donc le terme est pratiquement devenu d'usage courant y compris dans des journaux et des revues qui étaient hostiles à ce que nous démontrions.Aussitôt l'opération magistrale concertée par les services français a été d'amener des journalistes à défendre la thèse suivante -et vraiment j'ai été témoin de très près de ces manœuvres- "oui la Françafrique a existé, mais c'est fini depuis 5 ans ou 7 ans". Jospin était le seul homme d'état français a ne pas avoir de réseaux franco-africains, mais quand au congrès de Liévin en 94, il avait déposé une motion contre les relations franco-africaines, il avait été mis en minorité au sein de son propre parti.Quand Jospin est arrivé au pouvoir en 97, il s'est trouvé dans les trois mois qui ont suivi devant le choix suivant: la Françafrique a poussé les feux au Cameroun, au Tchad, au Congo-Brazzaville, au Gabon… soit il s'y opposait frontalement et il affrontait "le triangle des trois E" -Elf, l'Elysée, l'Etat-major- ce qui aurait supposé une énergie considérable, soit il laissait couler. C'est ce deuxième choix qui a été fait notamment avec la nomination d'Hubert Védrine au ministère des affaires étrangères, l'avocat de la politique de Mitterrand, lequel n'a rien fait d'autre que poursuivre la stratégie des Pasqua et Foccart.

Qu'est ce qui vous fait espérer un changement de politique ? Sachant que tout le monde y trouve son compte : les partis de gouvernements, les dirigeants africains, les industriels français…

La Françafrique c'est une toute petite portion des français et des africains, c'est une minorité. De plus en plus d'africains commencent à comprendre ces mécanismes d'oppression et de domination, des formes de rejets de la Françafrique se multiplient. Par exemple à Madagascar l'ancien président, cas exemplaire de la Françafrique, a été balayé par un mouvement populaire d'une force extraordinaire…

Comment s'opère la prise de conscience en Afrique des mécanismes de la Françafrique, sachant qu'il n'y a pas de réel contre pouvoir, et qu'il y a même des magazines comme "Jeune Afrique" qui relaie la voix de la Françafrique sur le continent…

Il ne faut pas sous-estimer le rôle du bouche à oreille dans un continent comme l'Afrique, l'information circule par des canaux informels… Malgré la pression extraordinaire de la dictature au Congo-Brazzaville, les gens ont lu ce que j'avais expliqué sur les dessous de la guerre dans leur pays dans "Noir Silence". Lorsque le résultat du procès pour "offense à chef d'état", intenté notamment par Denis Sassou Nguesso, le chef de l'état congolais, a été annoncé à la radio, il y a eu des explosions de joies dans les bus ! Ce combat judiciaire qui n'a pas fait la une en France, était perçu comme un enjeu jusque dans les bus africains ! Il y a une soif de comprendre qui peu à peu va faire des effets.

Pour ce qui est de l'opinion française, on a l'habitude de montrer du doigt les "méchants américains"; la nature des exactions commises en Afrique par la France n'est elle pas la même que celles commises en Amérique du sud par les USA ?

Vous avez raison, c'est une comparaison très éclairante, non seulement la France fait en Afrique ce que les USA font en Amérique latine, mais en plus elle fait en Afrique aujourd'hui ce que les USA faisaient dans les années 80 lorsque ils soutenaient partout des dictatures tortionnaires. Même les américains se sont rendu compte que leur influence en Amérique latine nécessitait de traiter avec des régimes un peu plus présentables.Vous soulignez quelque chose d'extrêmement important dans le blocage du progrès de l'opinion publique française sur ces questions, cette imprégnation de la gauche française par un morceau de l'idéologie souverainiste qui consiste à dire "on ne parle pas des atrocités de la France en Afrique, parce que ce serait désespérer la gauche du combat prioritaire contre les américains". Comme s'il s'agissait de choses différentes, ce que je montre dans "Noir Chirac" c'est que les réseaux françafricains pour une bonne part de leurs compositions initiales sont des réseaux en grande partie liés à l'extrême droite qui ont été mis en place au moment de la guerre froide sous l'influence des USA. Si on combat les raisons qui ont poussé les USA à mettre en place ces mécanismes de domination, je ne vois pas pourquoi on ne combattrait pas les mêmes mécanismes en France.

Dans quelle mesure espérez vous que votre travail soit relayé par les médias français ? On connaît les accointances de Bouygues avec les partis politiques ou pire avec des vendeurs d'armes comme Matra-Hachette.

J'ai très peu d'espoir de ce côté là, si vous lisez le Canard Enchaîné vous verrez qu'aujourd'hui les marchands de canons détiennent les deux tiers de la presse française, si vous rajoutez Bouygues, les médias d'Etat, vous vous rendez compte que les espaces d'expression libre se réduisent tous les jours comme peau de chagrin. C'est terrifiant pour la démocratie ! Il reste Radio Canut c'est sûr… ( rires ). Malgré ce projet de verrouillage, je constate un intérêt de plus en plus grand d'une part de l'opinion, certes pas majoritaire..Paradoxalement, je ne pense pas que la connaissance de ces phénomènes régresse en France. Il faut toujours compter sur les erreurs de l'adversaire, parfois il porte lui-même à la connaissance du public ce dont il veut qu'on ne parle pas, je pense à ce procès intenté par les trois chefs d'états. C'est une erreur majeure ! Il est probable que le livre "Noir Silence" aurait connu un impact infiniment moindre s'ils n'avaient pas essayé de le faire censurer par la justice. Et puis même dans les médias dépendant de grands groupes, vous avez une minorité de journalistes résistants qui trouvent l'occasion de parler de choses qui fâchent. Leurs carrières dans ce média là n'est pas forcément éternelle, mais ils parviennent à rebondir. Il ne faut pas exclure les actes courageux de ceux qui ne veulent pas rentrer complètement dans le moule.

On a vu lors du fameux procès de 2001, que la diffamation pouvait être un moyen de minorer votre travail. Jacques Verges, l'avocat des chefs d'états africains, a déclaré que vous connaissiez mieux Villeurbanne que l'Afrique.

C'est un procédé théorisé par certains de ces réseaux, diffamer les juges, journalistes, militants qui s'opposent à vous. Un certain nombre de juges en Italie ont été gravement diffamés, en France aussi, des journalistes, c'est un grand classique… Les attaques de Jacques Verges sont assez pitoyables… Quand des dizaines et des dizaines de milliers de réfugiés rentrant à Brazzaville, ont été tués ou violés, il a cru bon de faire ce mot : "Verschave aboie, les réfugiés passent". C'est sinistre…

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