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Saturday, September 09, 2006



A l'occasion de son passage au Cameroun où il était en vacances, le Lead Economist, conseiller du Vice président Principal de la Banque mondiale, Célestin Monga, l’économiste en Chef et militant de la liberté bien connu est resté égal à lui- même.Comme d’habitude, le Dr Monga s’est montré ferme dans ses propos et inventif dans la théorisation de phénomènes sociaux à l’instar de « l’esthétique de la souffrance ». C’est autour de cette objectivation de la résistance individuelle de chaque Camerounais qu’il se prononce sur des questions brûlantes.
Actuellement Lead Economist, conseiller du Vice président Principal de la Banque mondiale. L’économiste en Chef, Célestin Monga, le banquier militant de la liberté bien connu dans les milieux de la contestation, lors des années de braise (1990-1993), est resté égal à lui- même. En plus de ses fonctions à la Banque mondiale, il n’a jamais cessé de côtoyer le milieu universitaire. C’est à ce titre qu’il siège au Conseil d'administration du Sloan Fellows Program à la Sloan School du Massachusetts Institute of Technology (MIT). En outre, les Professeurs Middleton et Miller de l’Université de Yale ont fait appel à lui afin qu’il occupe le poste d’« Economics Editor ». Une position qui lui permettra de coordonner la production d’une centaine d’articles d’économie à publier dans l'Encyclopédie de l'Afrique (7 volumes) qui paraîtra en 2007. A l'occasion de son passage au Cameroun où il était en vacances, il s’est comme d’habitude montré ferme dans ses propos; intransigeants sur les principes et les valeurs dont celui du professionnalisme et de l’excellence; et inventif dans la théorisation de phénomènes sociaux. Par exemple, l’analyste social observe dans les moindre détails la capacité des Camerounais aux petits revenus à survivre dignement dans un environnement socio-économique qui les exclut carrément. ce qui donne lieu à cette nouvelle notion qu’il qualifie « d’esthétique de la souffrance ». C’est autour de cette objectivation de la résistance individuelle de chaque Camerounais qu’il se prononce sur les questions brûlantes qu’Alex Gustave Azebaze, le reporter du quotidien Le Messager lui a soumises.

Alex Gustave Azebaze : Quelle image vous frappe au Cameroun, votre pays après quelques années d’absence?

Célestin Monga : N’ayant visité que cités, ne saurais parler de l’ensemble du pays. J’ai été surpris par la violence du délabrement de Douala : chaussées défoncées, avec des mares d’eau infectes, immeubles en ruine, ordures à tous les coins de rue, y compris dans les quartiers prétendument bourgeois… On a l’impression d’arriver dans une ville en guerre. Rudolf Duala Manga Bell qui s’est fait pendre par les colons allemands en 1914, doit se retourner dans sa tombe en voyant sa ville ! Par ailleurs, la misère rend les gens agressifs, ou désabusés et fatalistes. En même temps, je suis frappé par l’attitude profonde du petit peuple, sa dignité, son stoïcisme, son élégance, même dans le dénuement le plus extrême. Il y a comme une esthétique de la souffrance. A Bafia et à Makénéné, j’ai vu des femmes qui travaillent quinze heures par jour sous le soleil ou la pluie, pour gagner 2000 CFA, à peine de quoi s’offrir un kilo de viande. Quelle belle leçon de modestie et de courage, malgré le dénuement!

AGA :Avez-vous le sentiment que les Camerounais vivent dans ce village planétaire auquel votre travail quotidien à la Banque mondiale vous destine?

Célestin Monga : Pas vraiment. Les Camerounais sont dynamiques, entreprenants et créatifs. Mais la faible compétitivité de l’économie nationale et l’extraversion du système financier (qui se contente de collecter l’épargne nationale pour la mettre au service de quelques hommes d’affaires étrangères) constituent des obstacles majeurs. De même que la corruption, qui gangrène les mentalités et les générations comme une véritable pandémie. Pour revendiquer notre place dans le village planétaire, il faudrait notamment faire baisser les coûts des facteurs ( transport, électricité, eau, téléphone), alléger le poids et l’instabilité de la fiscalité sur les agents économiques, et concevoir un système bancaire plus flexible et plus spécialisé. De plus, il faudrait adopter une politique monétaire et de change plus flexible pour exploiter les opportunités du commerce extérieur.

AGA : Quelle impression avez-vous des relations officielles entre le Cameroun et l’institution qui vous emploie ? Coopération, soumission, ou jeu de dupes entre banquier et son client?

Célestin Monga : Je m’exprime ici à titre personnel, pas au nom de la Banque mondiale. Je m’abstiendrai donc de porter des jugements sur des dossiers sur lesquels travaillent mes collègues. Je dirai tout de même que la Banque mondiale n’a ni les moyens de « soumettre » un pays souverain comme le Cameroun à son « diktat ». Les dirigeants qui se réfugient derrière de telles formules tentent maladroitement de masquer leur incompétence, et sont indignes des fonctions qu’ils occupent

AGA : Le Cameroun a t-il vraiment besoin des institutions de Bretton Woods ( Banque mondiale et Fmi) qui orientent les programmes de réformes économiques, sans succès depuis 20 ans?


Célestin Monga : Une grande nation comme la nôtre, bénie des dieux, dotée d’un peuple particulièrement dynamique et inventif, d’une location géographique parfaite, et jouissant de ressources naturelles et humaines à foison, n'a besoin que de vision et de volonté politique pour se hisser au niveau de son potentiel. Les cadres camerounais des différents ministères connaissent mieux que n’importe quel fonctionnaire de Washington les problèmes réels du pays, et quelles solutions seraient appropriées. La Banque mondiale, comme son nom l’indique, est une institution financière qui « vend » de l’argent. Mais si vous n’avez pas une claire idée de ce que vous envisagez de faire, l’argent ne servira à rien.


AGA : Le point d’achèvement de l’Initiative Ppte, un horizon indépassable?

Célestin Monga : Encore une fois, la loyauté que je dois à mes collègues travaillant sur ce dossier me contraint à une certaine réserve sur le fond des choses. Je dirai simplement que nous devrions cesser de faire une fixation sur des chiffres! Que se passera-t-il le lendemain de ce fameux Point d’achèvement? Nos problèmes de mauvais fonctionnement des services publics d’incompétences, de corruption ou de détournement de fonds publics disparaitront –ils subitement parce que l’État aura quelques milliards de f Cfa supplémentaires dans des caisses? J’espère que vous n’êtes plus en âge de croire au Père Noël…


AGA : Que peut réellement gagner notre pays en cas d’atteinte de cet objectif ? Aurons-nous une base plus saine pour mettre en œuvre une véritable politique de développement?

Célestin Monga : Un allègement de dette libère mécaniquement des ressources financières pour l’État, mais le développement n’est pas simplement une affaire de trésorerie. La vraie question est celle de savoir si l’argent est utilisé judicieusement, et si la politique de gestion des finances publiques et d’endettement mise en place permet d’éviter à l’avenir les erreurs du passé. Nous avons besoin de politiques macro-économiques prudentes mais ni rigides ni dogmatiques. Le poids de la fiscalité devrait être allégé substantiellement, de même que les taux d’intérêt. Il faudrait également procéder à des réformes pour instaurer une vraie transparence dans la gestion des ressources publiques. Tous les départements ministériels devraient avoir des objectifs quantifiables à moyen terme, avec des budgets – programmes sur au moins trois ans pour y parvenir. Ceci permettrait aux Camerounais de juger leur action. Quant aux députés de l’Assemblée nationale, ils devraient cesser de gérer l’humiliation et prendre plus sérieusement leurs responsabilités de citoyens. Le jugement que l’histoire portera sur leur action sera impitoyable.

AGA : Les institutions de Bretton Woods peuvent –elles développer un pays comme le Cameroun ?

Célestin Monga : Ce n’est ni leur rôle ni leur ambition Il est illusoire d’attendre un messie quelconque qui viendrait de Washington ou d’ailleurs. C’est aux 17 millions de Camerounais de transformer ce pays.

AGA : Votre présence dans le système de Bretton Woods ne vous rend- elle pas otage du capitalisme international qui martyrise tant les peuples?

Célestin Monga : L’affection que j’ai pour votre journal m’interdit de vous répondre comme devrait le faire un garçon de New Bell… Votre question sonne comme un médiocre slogan communiste des années cinquante. Je travaille dans la banque et la finance internationale depuis une quinzaine d'année et ne me suis jamais senti otage de qui que se soit. Je n’aurai pas l’outrecuidance de vous référer à mes modestes travaux qui ne reflètent pas le parcours d’un otage…. Quant aux peuples africains au nom desquels vous vous arrogez le droit de parler, ils ne vous attendent pas pour tirer profit du capitalisme international. Si vous en doutez, posez la question aux paysans camerounais qui exportent avec succès des produits industriels sur les marchés du monde entier et utilisent ces revenus pour financer les études de leurs enfants.

AGA : Un de vos amis, Basseck ba Kobhio, considère que vous avez cessé d’être un intellectuel dissident. Qu’en dites-vous?

Célestin Monga : Basseck est un frère dont j’apprécie l’énergie, la passion et le talent. Je n’ai rien d’autre à ajouter la dessus.

AGA : Qu’est ce qu’un intellectuel?

Célestin Monga : Les labels m’importent peu. J’ai écrit il y a 15 ans que Roger Milla était un des meilleurs intellectuels africains, au même titre que Mongo Beti ou Jean Marc Ela. Son éthique professionnelle, sa quête effrénée de perfection, son désir d’écrire l’histoire collective à travers le football, et d’incarner une certaine idée de l’Afrique, son degré d’exigence technique et artistique en font à mes yeux un intellectuel de gros calibre. Je pourrais en dire autant des musiciens Vincent Nguini et Richard Bona.

AGA : Qu’est ce qu’un intellectuel dissident ? En êtes- vous un ?

Célestin Monga : L’expression « intellectuel dissident » est un pléonasme car il n’est pas d’intellectuel qui ne soit dissident. Je ne parle pas seulement de dissidence politique par rapport à un gouvernement, mais de dissidence au sens large (sociale, artistique) etc.) Pour ma part, je ne réclame aucun brevet de dissidence. Ceux qui me font l’honneur de prêter attention à mon travail ont toute liberté pour le juger.

AGA : Monsieur Monga, sérieux vous prêt à servir dans un gouvernement du Renouveau ? Sinon, pourquoi?

Célestin Monga : Votre humour primitif (apparemment énervé, ndlr) ne me fait pas rire. Personne ne me le proposera parce que je ne remplis aucun des critères requis. Je n’ai aucun talent pour la farce voyez –vous.

AGA :En avril dernier, vous avez été nommé membre du Conseil d’administration du Programme Sloan Fellow à la Business School du Massachusetts Institute of Technology (MIT). De quoi s’agit-il exactement ? Vous prenez vos distances avec la Banque mondiale, votre employeur?

Célestin Monga : Je ne quitte pas la Banque mondiale. Le Conseil d'administration de la Business School du MIT dont je fais partie se réunit en moyenne deux fois par an et propose au Doyen des idées préserver le prestige de l’institution maintenir ses standards d’excellence, améliorer les critères et méthodes de recrutement, l’efficacité des programmes éducatifs et des systèmes de financement, etc. l’objectif personnel que je me suis fixé est de faire augmenter le nombre d’étudiants africains admis chaque année au MIT, qui est à mes yeux la meilleure au monde.

AGA : Vous avez été également choisi pour diriger le volet Économie de l’Encyclopédie de l’Afrique, initiée par le Professeur John Middleton de l’Université de Yale. Quel est votre rôle dans cette initiale?

Célestin Monga : Cette encyclopédie monumentale en 7 volumes paraitra en 2007. Elle regroupera des centaines d’articles rédigés par des chercheurs du monde entier sur des milliers de thèmes de sciences sociales concernant l’Afrique. John Middleton et Joseph Miller, qui ont lancé le projet m’ont demandé effectivement d’en être le « Economics Editor » comme on dit en anglais, c’est- à – dire de coordonner la production d’une centaine d’articles d’économie à publier dans l’encyclopédie. C’est un énorme défi qui devrait me donner la mesure de mes propres limites! … Mais j’essaierai de proposer un autre regard sur l’économie en Afrique. J’essayerai que se soit l’occasion d’un coup de projecteur non pas sur l’ « économie officielle » (celle des gouvernements et les grandes entreprises) mais sur l'action quotidienne des petits agents économiques dont le courage et la créativité entretiennent la flamme de l’espoir.

AGA : Un des principaux problèmes auxquels les jeunes sont confrontés est le chômage. Est ce un phénomène d’époque ou une fatalité?

Célestin Monga : C’est un défi économique majeur de notre époque. Les chiffres en la matière sont terribles. Pour une population active, c’est –à-ire en âge de travailler, de 7 millions de personnes, le Cameroun n'a été capable que de créer environ 400.000 emplois dans le secteur formel (public et privé). Les autres, soit plus de 6,5 millions de personnes, sont cantonnés dans ce que l’on appelle pudiquement l’agriculture ou le secteur informel. Cette force de travail non utilisée constitue un manque à gagner pour le système productif. N’étant pas toujours éduquée, ou perdant ce qu’elle a appris à l’école à cause du chômage, cette main d’œuvre non utilisée est une perte de capital humain pour le Cameroun. Si l’on mettait ces gens-là au travail, les gains de production et de croissance seraient spectaculaires.

AGA :Que faire à votre avis, pour diminuer le chômage au Cameroun?

Célestin Monga : Je vois des solutions à court terme et d'autres à long terme. Dans l’immédiat, il faudrait alléger complètement la fiscalité sur les entreprises, notamment les plus petites qui sont les véritables créatrices d’emplois. L’on pourrait supprimer les taxes assises sur les salaires et supportées par les employeurs, et leur offrir plutôt des incitations à recruter, par exemple des crédits d’impôts. Le code du travail devrait être encore plus flexible. Le cadre macro économique et financier devrait également soutenir l’emploi. Ceci implique une politique monétaire plus souple, des banques commerciales jouant véritablement leur rôle d’intermédiaires financiers et offrant des crédits à moyen et long terme, même sous garantie de l’État si nécessaire. La politique budgétaire devrait comporter un important volet d’infrastructures publiques à forte intensité de main d’œuvre. Si ces projets sont bien conçus, l’on trouvera aisément des financements privés pour les matérialiser. A plus long terme, il faudrait refondre complètement le système éducatif pour qu’il puisse offrir des filières de formation correspondant variablement aux besoins du marché de l’emploi.

AGA : Faisons une incursion dans l’universel culturo- musical camerounais. Vous ne cachez pas votre admiration pour Richad Bona. Qu’est ce qu’il représente pour vous et votre éthique?

Célestin Monga : Il est un des joyaux de ce pays extraordinaire, qui a produit Roger Milla, Manu Dibango, Jean Marc Ela, Fabien Eboussi Boulaga, Yannick Noah et bien d’autres génies. Il est de la trempe de Vincent Nguini dont il marche sur les empreintes. Il s’inscrit dans une vielle tradition de grands basistes camerounais comme Jean Dikoto Madengue, Vicky Edimo et même Alhadji Touré. Il s'appuie sur leurs épaules pour écrire une page nouvelle, plus dense et plus complexe de notre histoire. L’assurance et la sérénité qui se dégagent du travail de Richard Bona, l’arrogance et la tranquillité de son talent confirment plus que son passeport sa nationalité camerounaise. Il faut presque avoir grandi à Douala, ville rebelle, pour composer une musique aussi libérée. Je lui souhaite de garder son enthousiasme devant la vie, et son intégrité musicale.

AGA :La culture camerounaise est symbolisée aujourd’hui essentiellement par le bikutsi. Pourtant il n’est pas aussi riche en mélodies qu’en paroles. N’est ce pas un paradoxe dans un pays aussi divers?

Célestin Monga : En tant que phénomène social, le bikutsi est une des plus belles fenêtres pour observer l’âme camerounaise. C’est le reflet le plus achevé à la fois de notre richesse intérieure, de notre dynamisme, et de nos turpitudes. Sur le plan musical, le bikutsi est moins riche que les polyphonies pygmées. Mais ayant vécu à Akonolinga, Mbalmayo et Yaoundé, j’en apprécie toutes les subtilités. Même lorsqu’il est mauvais, le bikutsi parle au corps. Dans sa rythmique comme dans ses harmonies, il n’a rien à envier à aucune autre musique. L’on peut débattre de sa qualité littéraire et de son éthique mais chacun des accords de guitare solo touche directement la moelle épinière. L’autre soir à Yaoundé, je suis allé écouter Mbarga Soukouss au Bois d’Ébène. Ce n’était probablement pas un grand moment de philosophie transcendantale mais tous ceux qui étaient là ont oublié, l’espace d’un instant, leurs difficultés quotidiennes. C’est un autre aspect de l’esthétique de la souffrance dont je parlais tout à l’heure.

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